Boisy, à l’os
Rénovation lourde de trois immeubles à Lausanne
À Boisy, sur les hauteurs de Lausanne, la Société coopérative d’habitation Lausanne (SCHL) a fait le choix d’un assainissement complet pour trois de ses immeubles. D’abord motivée par la mise aux normes, la rénovation s’est transformée en projet global. Une mise à nu pour remise à neuf.
Avec 101 immeubles et plus de 2430 logements situés principalement dans l’agglomération lausannoise, la SCHL, fondée en 1920, est l’une des plus importantes coopératives d’habitation en Suisse. Ce parc conséquent, bien entretenu mais nécessitant des mises aux normes, fait régulièrement l’objet de rénovations. À Boisy, après analyse d’un faisceau d’indicateurs (indice de dépense de chaleur, vétusté, émissions de CO2, coût de rénovation, impact sur les loyers, intervention en site occupé ou non, etc.), la SCHL s’est lancée dans une intervention de grande envergure sur trois de ses immeubles, prenant le parti d’une intervention maximaliste de remise à neuf impliquant le déménagement temporaire de ses sociétaires.
Rénovation totale
L’ensemble des années 1960, dont le plan de quartier est aujourd’hui classé à l’ISOS, se compose de sept barres identiques R+8 de 66 logements. Encastrées dans une pente à fort dénivelé, les trois barres de la SCHL sont chacune desservies par trois noyaux de circulation verticale, deux d'entre eux n'étant accessibles que par de (raides) escaliers extérieurs. Pour répondre aux besoins de ses locataires, dont beaucoup sont âgés, la SCHL a d’abord été motivée, avant même la rénovation énergétique, par la volonté de rendre accessibles ces trois entrées et leurs ascenseurs et d’adapter la moitié des appartements pour les personnes à mobilité réduite.
La mise aux normes des ascenseurs (agrandissement) nécessitant le déplacement des gaines techniques dans lesquelles passent les réseaux d’alimentation en eau, électricité, etc. rendait impossible la vie sur place pendant les travaux. Décision a donc été prise de déménager temporairement les locataires dans des logements de transit, et d’en profiter ainsi pour améliorer le confort et les usages par la transformation des typologies, la rénovation énergétique (Minergie-P) et la mise aux normes (accessibilité, acoustique, feu, etc.). De fil en aiguille, la SCHL s’est donc engagée dans un assainissement complet.
À l’intérieur: décloisonner
Construits selon les standards des années 1960, ces immeubles sont typiques de l’époque et de la ville de Lausanne: des structures en béton légères (les dalles ont seulement 12 cm d’épaisseur), une construction en maçonnerie (briques de terre cuite) avec de nombreux porteurs verticaux en façade et refends, un doublage intérieur sans isolation, le tout sur une trame régulière.
Chaque palier dessert trois logements, deux traversants et un mono-orienté. Les balcons sont nombreux, y compris dans les pièces dites de nuit. Le plan «fermé» découpe des pièces de tailles sensiblement identiques avec une petite cuisine laboratoire et une salle à manger en second jour.
Les architectes du bureau tb&dp architectes associés ont saisi l’opportunité de la rénovation pour retravailler les traversants: les anciennes cuisines fermées ont été transformées en chambres et les pièces de vie s’organisent autour d’une cuisine habitable d’un côté et d’un séjour de l’autre. Décloisonnés, les logements retrouvent de la fluidité dans les circulations; ils s’ouvrent par des portes-fenêtres sur les balcons et loggias agrandis pour gagner en espace et en lumière.
À l’extérieur: emballer sans dénaturer
La façade d’origine avait des qualités que le classement des bâtiments en note *3* au recensement architectural est venu confirmer: des encadrements en pierre autour des fenêtres, une horizontalité marquée par les lignes des balcons à parapets, des loggias et des fenêtres de différentes profondeurs. Il a donc fallu répondre au défi d’isoler par l’extérieur sans dénaturer l’image initiale, en donnant à voir ces marqueurs historiques.
Ainsi, pour préserver le vocabulaire des balcons pleins tout en les déportant vers l’extérieur et en les réhaussant pour répondre aux normes de sécurité, deux techniques successives ont été mises en œuvre. Dans le premier bâtiment, le parapet a été remplacé par un nouveau mur en béton sur lequel ont été reposées la couvertine et la main courante existantes. Dans le second, tirant parti de l’expérience du premier, le parapet a été conservé et surélevé pour limiter les coûts et les accidents au cours des manipulations: scié à la base, complété par un muret en béton, il a ensuite été remonté par-dessus. Les encadrements de fenêtres en pierre ont quant à eux été déposés et déportés en façade pour rester lisibles. Ainsi, si la façade rénovée et isolée «gonfle» de quelques centimètres, elle conserve l’esprit de son expression d’origine.
Outre les encadrements des fenêtres et des parapets de balcons existants avec leurs mains-courantes, les balustrades des escaliers, les lavabos et lave-mains et les pavés pour les aménagements extérieurs ont été réemployés sur place.
Opération à tiroir
La rénovation totale a imposé le déménagement temporaire de tous les locataires (pris en charge par la SCHL), au cours d’une opération à tiroirs complexe et délicate qui a nécessité un accompagnement important de la part de la coopérative. Chaque ménage a reçu des propositions de logement de transit en fonction de ses besoins, avec la possibilité pour ceux qui s’y trouvaient bien et qui ne souhaitaient pas déménager une seconde fois de s’y installer. La SCHL a aussi saisi l’opportunité de la rénovation pour proposer –sans obligation– des appartements plus petits et plus adaptés (avec des loyers moins chers donc) à des personnes âgées habitant de grands appartements. «Dans une coopérative, on cherche et on trouve toujours des solutions pour les locataires», rappelle Daniel Brülhart, directeur immobilier de la SCHL. Pour renforcer les liens sociaux et améliorer le confort de vie des habitants du groupe en rénovation, la coopérative a confié à Pro Senectute Vaud la mission d’instaurer une dynamique propice aux échanges. Une salle de quartier créée dans le deuxième immeuble à la faveur de la rénovation permet d’accueillir les événements conviviaux entre voisins.
Comme neufs
Le coût global des travaux s’établit à 46 millions CHF pour la rénovation des 197 logements répartis dans les trois immeubles et une salle communautaire, soit un investissement non négligeable de 232 300 CHF en moyenne par unité d’habitation pour des appartements désormais comme neufs. Ces coûts ont pour partie été répercutés sur les loyers, passés de 154 CHF/m2/an, ce qui était très faible, à 220 CHF/m2/an après travaux, tout en restant en dessous des loyers des LUP à Lausanne, de l’ordre de 260 CHF/m2/an.
En termes d’économies d’énergies, si le bilan n’a pas encore été effectué, une batterie de mesures (isolation, ampoules LED, ventilation avec récupération de chaleur par des PAC) contribue à diminuer la facture. Surtout, l’installation de panneaux photovoltaïques sur le toit et la création d’un groupement de consommateurs permet aux habitants de consommer l’électricité solaire qu’ils produisent en journée (gratuite donc) et de payer à prix coûtant l’électricité du réseau la nuit. En fonction des saisons, l’économie se situe entre 1/3 et 2/3 par rapport à ce qu’ils payaient auparavant.
Choisir la rénovation lourde plutôt que la démolition-reconstruction relève de l’aventure. Ces projets complexes et chaque fois spécifiques exigent des moyens importants, financiers mais aussi humains, pour accompagner les habitants dans ces processus longs et délicats. Ils demandent de l’agilité et de l’engagement aux maîtres d’ouvrage et aux équipes de mandataires qui doivent pouvoir s’adapter aux imprévus et arbitrer, y compris en cours de chantier, entre de multiples indicateurs. Le jeu en vaut la chandelle; la raréfaction des terrains disponibles contraindra de toute façon les grands bailleurs à valoriser au mieux leur patrimoine existant, en le transformant sur lui-même.
Rénovation lourde de trois immeubles à Boisy, Lausanne
Maître d’ouvrage: Société coopérative d'habitation de Lausanne (SCHL)
Architecture et DT: tb&dp architectes associés (terrin.barbier architectes sàrl + Steven de Palézieux architecte)
Paysagistes: Dessine-moi un jardin
Ingénieurs civils: Meylan ingénieurs civils
Ingénieurs CV: AZ ingénieurs
Ingénieurs installations sanitaires: Crottaz consulting
Ingénieurs électricité: Perrin & Spaeth
Expert AEAI: Ignis salutem
Acousticien: ecoacoustique
Planification: 2020-2021
Réalisation: 2021-2026 en 3 étapes
Volume SIA: 3 x 18 500 m3
Coût par m3/sia (CFC 2): 685 CHF
Coût: 46 mio CHF
Cet article fait partie du dossier Transformer! de la revue TRACÉS de février 2025.
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