Playgrounds : petits sous, grands effets
Entretien
Rencontre avec la déléguée aux places de jeux à la Ville de Lausanne depuis 2011, l’architecte paysagiste Petra Meyer-Deisenhofer.
À Lausanne, c’est la Ville qui est responsable des places de jeux : de la planification à l’entretien. Elle effectue donc non seulement du suivi de mandat (en attribuant les aménagements ou les entretiens à des bureaux externes), mais elle élabore également des projets neufs ou de rénovation à l’interne. Une situation rarissime pour une commune en Suisse, qui, même si elle lui est parfois reproché, lui permet de développer une stratégie cohérente sur l’ensemble de son territoire.
Rencontre avec l'une des accompagnatrices de cette métamorphose, l'architecte paysagiste Petra Meyer-Deisenhofer.
TRACÉS: Pourquoi faut-il développer les places de jeux?
Petra Meyer-Deisenhofer: Certaines études montrent qu’il y a 50 ans, les enfants et les jeunes passaient en moyenne 3 heures par jour à l’extérieur ; aujourd’hui, ils n’y passent plus que 47 minutes1. Cette fréquentation est influencée par la qualité des aménagements extérieurs qu’ils trouvent autour de chez eux. Plus les enfants ont accès à des aménagements extérieurs de qualité, plus ils acquièrent des compétences indispensables à leur développement – que ce soit physique, social, mental… Et plus les aménagements sont aussi pensés pour les parents, plus les familles utiliseront ces espaces.
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Quelle a été l’évolution des places de jeux à Lausanne?
Lausanne a été la première ville suisse à avoir élaboré une stratégie de planification des places de jeux (fin des années 1990). Cette décision a notamment été prise suite à l’arrivée en 1999 des normes de sécurité SN EN 1176. Puis un préavis d’intention qui annonçait plusieurs étapes de réhabilitation et de rénovation des places a été édicté [lire article l’Histoire des places de jeux de Lausanne]. Cette prise de conscience a été une grande chance : depuis 2002, plusieurs millions de francs ont été mis à disposition pour réhabiliter ces places. D’abord par une nécessité sécuritaire, mais aussi de plus en plus pour une évolution fonctionnelle, car les places qui existaient il y a vingt ans ne répondent plus aux besoins actuels. Avant, on achetait plusieurs fois le même panel chez un fournisseur et on l’installait sur différentes places. C’était ça les playgrounds : une juxtaposition de jeux avec leur revêtement.
En quoi les places d’aujourd’hui sont-elles différentes ? Et qu’est-ce qui a provoqué ce changement de paradigme du milieu des années 2000?
Bonne question… la poule ou l’œuf ? Les jeux de l’époque étaient très directs, très uni fonctionnels : il fallait monter l’escalier pour descendre le tobogan. Aujourd’hui, il faut évoluer sur différentes structures, inventer des parcours. Les manières d’évoluer physiquement sont plus complexes, plus enrichissantes pédagogiquement : les enfants sont mis au défi. Certains fournisseurs allemands ont été parmi les premiers à proposer des jeux en bois, avec du robinier – qui conservaient toujours les balançoires et les tobogans, mais qui proposaient des jeux beaucoup plus diversifiés.
Comment la Ville de Lausanne décide-t-elle qu’une mise en concurrence est nécessaire pour le réaménagement d’une place de jeu?
Cela dépend beaucoup de nos ressources et de l’échelle du projet. Pour le quartier des Plaines du Loup, qui comptera cinq places de jeux, nous avons mené un appel d’offre sur invitation à plusieurs fournisseurs de jeux. Mais cela reste exceptionnel, car cela demande énormément de travail aux équipes – et ce sont souvent les mêmes qui gagnent. C’est pourquoi on pratique souvent des mandats en gré à gré, en diversifiant les fournisseurs.
Il existe trois types de fournisseurs de jeux : les multinationales qui fournissent des marques de jeux européennes ; les compagnies suisses, aujourd’hui exclusivement alémaniques, qui ont leurs propres ateliers et qui construisent elles-mêmes leurs jeux et qui les proposent sur catalogue, ou selon les envies des maîtres d’ouvrage ; et enfin les concepteurs très créatifs, qui ne font que du surmesure. Mais aujourd’hui, aucune entreprise de ce type n’existe en Romandie. Elles sont toutes en Suisse alémanique, voire en Allemagne… !
Investir dans l’aménagement des places de jeux a parfois été critiqué – «pourquoi mettre de l’argent dans un tobogan et non dans quelque chose de plus utile». Comment percevez-vous la réception des places de jeu par la population ?
J’ai l’impression, au contraire, que les préavis pour des demandes d’investissements passent presque toujours à l’unanimité : d’une part investir de l’argent pour les enfants est le reflet d’une forme de bienveillance ; et d’autre part leur sécurité est une thématique très sensible – il est inconcevable que l’on puisse reprocher à la municipalité d’avoir négligé la sécurité des enfants. Les opposants à nos projets représentent donc une proportion très marginale de la population.
De plus, et bien sûr je suis partiale en disant cela, les places de jeux ne requièrent pas de gros investissements, par rapport à la réfection d’une route, par exemple. En revanche elles améliorent nettement la qualité de vie des gens, et pas uniquement celle des enfants. En effet les places de jeux constituent un second maillage qui se superpose à la trame des grands parcs existants – elles permettent d’amener des espaces verts au cœur des quartiers et deviennent des lieux intergénérationnels de loisir.
Notes
1. Höfflin Peter et Baldo Blinkert (2016): Espace de liberté pour les enfants Résultats d’une enquête menée dans le cadre de la campagne «Espaces de liberté» de la Fondation Pro Juventute. Éditeur: Fondation Pro Juventute, Zurich.